Paroles d’auteurs, paroles de réalisateurs (à propos de l'adaptation, Alain Dufau / Marie-Eve Venturino)
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Catégorie : Autres textes
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Publication : mardi 18 novembre 2008 22:16
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La liberté inventive du cinéaste
Alfred HITCHCOCK dans son entretien avec TRUFFAUT pour les Cahiers du Cinéma, est amené à préciser sa conception de l’adaptation, au service de son sens de l’intrigue.
F.TRUFFAUT l’interroge: “Il y a un très grand nombre d'adaptation dans votre œuvre, mais il s'agit le plus souvent d'une littérature strictement récréative, de romans populaires que vous remaniez à votre guise jusqu'à ce que cela devienne des films d'Hitchcock. (...).
A.H. :(...) On parle souvent des cinéastes qui, à Hollywood, déforment l'œuvre originale. Mon intention est de ne jamais faire cela. Je lis une histoire seulement une fois. Quand l'idée de base me convient, je l'adopte, j'oublie complètement le livre et je fabrique du cinéma. Je serais incapable de vous raconter "les Oiseaux" de Daphné du Maurier. Je ne l'ai lu qu'une fois, rapidement ”.
Mais HITCHCOCK n’est pas en reste de questions, lui aussi: “Contracter ou dilater le temps, n'est ce pas le premier travail du metteur en scène ? Ne pensez-vous pas que le temps au cinéma ne devrait jamais avoir de rapport avec le temps réel ?
F.T. :(...) les actions rapides doivent être démultipliées et dilatées sous peine d'être presque imperceptibles pour le spectateur. Il faut du métier et de l'autorité pour bien contrôler cela.
A.H : C'est pourquoi on commet une erreur en confiant l'adaptation d'un roman à l'auteur lui-même; il est supposé ignorer les principes d'un traitement cinématographique. Par contre l'auteur dramatique adaptant sa propre pièce pour l'écran sera plus efficace.(...) Il ne faudrait jamais comparer un film à une pièce de théâtre ou à un roman. Ce qui est le plus proche est la nouvelle, dont la règle générale est de contenir une seule idée qui finit de s'exprimer au moment où l'action atteint son point dramatique culminant. "
Luchino VISCONTI, lui, a toujours dit avoir été fortement influencé par les oeuvres littéraires: "Je ne vois pas beaucoup de différence entre un film dont l'histoire est inventée par le cinéaste et un film tiré d'une œuvre littéraire. Ce sont tous les deux des œuvres d'auteurs, en ceci que la liberté inventive du cinéaste s'y exprime quasiment au même degré. C'est la forme qui est diverse, pas la substance. Quand j'adapte un roman, en préparant le scénario, je laisse toujours beaucoup de choses non définies, je me réserve toujours une grande liberté d'invention."
C’est que le cinéaste pense le travail d’adaptation comme sien: s’il ne le produit pas il se le réapproprie nécessairement. En cela les problèmes liés à l’adaptation dévoilent cette évidence: chaque moment d’un film -d’élaboration, de fabrication: peut-on les séparer?- n’illustre pas le moment précédent mais le traduit dans la jubilation de la réécriture, en tenant la pulsion du style.
Chaque réalisateur y apporte ses réponses, et ainsi dessine son chemin. La proximité de la littérature repose ces questions de cinéma: celles des intentions du réalisateur, celles des effets de conviction à produire, pour que le spectateur ressente des émotions.
Rainer-Werner FASSBINDER résume l’intention de son film “Effi Briest”: "Je reste très près du roman - non pas de l'histoire que raconte le roman, mais de l'attitude de l'auteur, Theodor Fontane, face à l'histoire. Il est bien évident qu'on aurait pu faire un film très vivant à partir de cette histoire qui parle du mariage d'une jeune fille avec un homme âgé, de son infidélité, etc. Mais si c'est vraiment cette histoire-là que l'on veut filmer, il n'y a aucune raison de filmer précisément le roman de Fontane. On pourrait tout aussi bien inventer une autre histoire et c'est ce que j'ai fait avec Martha, qui est ma version personnelle de cette histoire. Effi Briest, par ailleurs, est pour moi un texte sur l'attitude de Fontane devant sa société et c'est ce qui s'exprime à travers les différents personnages du film, par la distance établie entre le spectateur et ce qui se passe sur l'écran. Il y a nettement quelque chose qui s'interpose entre le spectateur et l'action et ce quelque chose est l'auteur Fontane ou peut-être moi, le metteur en scène. L'élaboration de cette distance donne au spectateur une occasion de comprendre son propre point de vue sur sa propre société.(...) C'est la passivité que je voulais éviter dans Effi Briest. En un sens je voulais que ce soit un film "lu". Ce film n'est pas une épreuve terroriste, on peut vraiment le lire. Et c'est là le point le plus important à propos du film. "
Nous ne disposons pas de statistiques, mais nous pouvons estimer que les adaptations (originales) sont aussi nombreuses que les scénarios originaux, toutes productions filmiques confondues, cinéma et télévision. Les oeuvres littéraires demeurent une source d’inspiration constante.
Nous avons vu que la fidélité ou la trahison de l’oeuvre originale littéraire n’est pas vraiment un problème pour les auteurs-réalisateurs, à tout le moins ne se pose qu’à l’aune de leur projet particulier de réécriture.
Le mot même d’adaptation pose question, car il sollicite une comparaison entre un livre préalable et une autre oeuvre trop souvent encore pensée comme une dérivation.
Il ne s’agit pas d’illuster un texte existant mais par une opération, chaque fois différente, que l’on peut nommer transport, déplacement, variation, transposition, réécriture, translation, voire emprunt, digression, détournement, de fabriquer un film original pour partie fruit de la considération d’un texte original.
Cette considération est d’importance dans un moment culturel où la gratitude pour tous ceux qui ont construit ou développé l’art cinématographique, est souvent oubliée. L’adaptation en ce qu’elle est une invention qui considère et cite sa source, participe de l’exigence cinématographique.
Texte extrait du livre "L'adaptation du livre au cinéma et à la télévision en région PACA" Édition Carnet de ville - 2001.