Temps de pause - De l’approche documentaire


De l’approche documentaire

Je me sens artisan d'inquiétude et de jubilation ; je me sens plus réalisateur que producteur. De cette façon quasi enfantine de triturer les matériaux d'expression, jusqu'à ce que, à l'écran, nous ne sachions plus trop s'il s'agit d'image ou de son, mais bien d'émotions, de cris, d'allégories, d'humaines passions, des rituels de toujours passés au ripolin du présent.


Inquiétude et jubilation : de ce travail paradoxal, éternelle demande d'amour.

Car c’est bien avec des gens que nous travaillons.

Et je sais ta démarche têtue.

Tes photographies sont faites à certains moments, certaines heures, avec des gens particuliers qui acceptent cette relation de confiance ; puis ces photographies sont exposées, dupliquées, elles circulent dans les familles, dans des écoles, des centres sociaux, des lieux de débat, d'exposition, des lieux publics...

Puis tu engages ton statut de producteur d'images, d'artisan d'images, pour comprendre avec les gens comment ces images sont reçues, perçues, vécues, comment elles sont digérées dans la moulinette médiatique, parfois vécues comme impression d'un moment rare, parfois oubliées.

Et si tes photographies servent de support de réflexion et d'analyse à des responsables et décideurs, tu veux savoir ce qu'elles deviennent auprès de ceux-là mêmes qui ont prêté ou donné leur image. Tu veux savoir ce qu'elles deviennent auprès de tous ceux qui les utilisent, et s'autorisent ou pas, à exprimer ce qu'ils voient.

Car tu sais d’abord que les émotions données par une photo ne vont pas d'évidence, tu sais que tous et toutes ne pouvons ressentir les mêmes choses.

Mais tu ne te résous pas à ce que tu sais, alors toujours tu repars et quittes ta maison pour entendre comment l’autre voit tes photos. Comment l’image de l’autre peut-elle interpréter autre chose que le pacte fragile qu’est toute relation ?

C’est comme une évidence qu’on n’ose jamais tutoyer : tu ne photographies pas l’autre, mais simplement ta relation à l’autre. Je ne filme pas l’autre, mais simplement ma relation à l’autre. C’est toujours cela que le spectateur d’abord reçoit.


Nous nous sommes retrouvés sur le désir de dévoiler notre réalité, de faire remonter les émotions, d'écouter les jeux de regards croisés de ceux qui réalisent les images, de ceux qui les regardent, de ceux qu'elles représentent, de ce qu’elles représentent, sur le désir de fabriquer du documentaire.

Il n'est d'autre issue pour nous que de poursuivre le lent recueil des fragments de vie quotidienne en rencontrant.


Faire des images et bannir la facilité qui voudrait que l'image soit la chose la mieux comprise et partagée par tous.

En ce moment social où l'image est coincée entre l'hystérie et l'interdit, entre : d'un côté la profusion infinitélévisuelle des news, reportages, clips, jeux, pubs, informations promotionnelles en tout genre, et de l'autre, la montée du refus de l'image (par bienséance pédagogique ou intégrisme religieux). La bienséance pédagogique fait chez nous plus de ravages que l’intégrisme : mais qui le voit, qui en souffre vraiment? En ce moment où les modes d'encadrement sociaux ne cessent de s'affiner et tout à la fois hésitent ; où se juxtaposent les créations les plus complexes, et puis, tout proche, le refus mauvais de toute expression, de toute image ; en ce moment où à quelques centaines de kilomètres d'ici, tout est fait pour que se taisent les poseurs de question ; où arrivent d'Algérie des hommes et des femmes en souffrance... Ici et maintenant inventer des images avec les autres. Image, laboratoire du regard, invite.