Chacun parle sa démarche

Les rapports de confiance mettent souvent du temps à s'établir, là, entre le monde de la production et celui de l’édition, comme ailleurs.
Chaque réalisateur selon son style et sa démarche à besoin d'une part de liberté plus ou moins grande vis-à-vis du scénario: l'adaptation est une affaire de rencontre réussie entre lui, l’écrivain, l’adaptateur, le scénariste, s’ils ne sont pas les mêmes...L’écrivain et surtout son texte.
La transformation d'un livre en scénario (qui reste en définitive un simple matériel préparatoire au film) n'intéresse pas tous les écrivains. Certains romanciers refusent toute adaptation, d'autres s'y essayent, d'autres s'y emploient et deviennent scénaristes, d'autres enfin s’en tiennent à l'intérêt financier. L’auteur de roman noir James ELLROY se veut lucide, quant, à propos de l’adaptation de “L.A.Confidential”par Curtis HANSON, il évoque plus généralement sa démarche:"concernant les droits cinématographiques de mes livres, mon attitude a toujours été : "Merci pour l'argent, je suis de tout cœur avec vous, si vous faites le film et que vous le foirez au-delà de toute rédemption, je ne ferai pas de commentaires, parce que depuis le début, j'ai eu le choix et j'ai choisi de prendre l'argent.(...) Comprenez bien qu'on prend des options sur beaucoup de livres pour les adapter et qu'il y en a très peu qui se retrouvent à l'écran."
Cette décontraction pourrait paraître désinvolte n’était-ce le fait que beaucoup d’écrivains ne désirent pas travailler à l’adaptation de leur roman. Ainsi de Léonardo SCIASCA auteur du livre “Le contexte” porté à l’écran par Francesco ROSI: “On sait que je refuse toujours de collaborer au scénario des films tirés de mes livres, je l'ai déclaré plusieurs fois. Je n'arrive pas à voir un film dans le livre; et puis il me semble juste que le réalisateur fasse son film, sans se sentir surveillé. Par ailleurs, je crois que l'auteur d'un livre - en général du moins- ne désire rien d'autre qu'une sorte d'illustration cinématographique, il désire trouver une sorte de Doré des images en mouvement."
C’est que les écrivains n’entendent pas hiérarchiser les arts. Le travail d’adaptation nourrit une oeuvre autre. Raymond QUENEAU est un passionné de cinéma: il écrit les dialogues du film “M.RIPOIX” (d’aprés Louis HEMON) de René CLEMENT en 1954,  travaille en 56 avec Bunuel sur “La mort en ce jardin”, en 56 avec RESNAIS sur “Le chant du Styrène”, adapte pour J.P. MOCKY “Un couple”, et voit quatre de ses ouvrages adaptés, dont “Zazie dans le métro” devenu un film de Louis MALLE, en 1960. Il défend ardemment la place de l’auteur-réalisateur: “Ainsi, dans une adaptation réussie d'une œuvre littéraire, celle-ci doit finalement disparaître pour laisser place à une nouvelle œuvre d'art, le film dont elle est tirée. Ces mots "adaptation" et "tirée" ne me plaisent pas, car ils semblent donner un rôle secondaire au cinéma. En fait, en se plaçant avec humilité devant l'œuvre littéraire, en en recherchant les implications et les différentes valeurs, (le cinéaste) conserve toute sa liberté dans le domaine de son art. Une fois cela fait, il peut ensuite créer son œuvre comme il l'entend. Au-delà de l'histoire que raconte le film, au-delà des thèmes qu'il inspire, il y a la création cinématographique proprement dite, le style, la personnalité et le génie de l'auteur du film. Car il y a bien un auteur du film. "

Le travail de transposition de l'œuvre écrite en une œuvre filmique par l'intermédiaire de l'adaptation est bien un travail de recréation. Et la participation de l'écrivain à l'adaptation de son livre dépend aussi de son intérêt voire de sa passion pour le cinéma.

Les cinéastes eux ont de la difficulté à parler l’adaptation en général. On les comprend, chacun parle sa démarche.
FELLINI  refuse le travail d’adaptation "Une œuvre d'art naît dans une seule et unique expression, qui est la sienne propre: je trouve monstrueuses, ridicules, aberrantes les transpositions. D'habitude, mes préférences vont aux sujets originaux, écrits pour le cinéma. Je crois que le cinéma n'a pas besoin de littérature, il n'a besoin que d'auteurs cinématographiques, c'est-à-dire de gens qui s'expriment par des rythmes, les cadences qui sont particuliers au cinéma.
Le cinéma est un art autonome qui n'a guère besoin de transpositions, lesquelles, dans la meilleure hypothèse, ne seront chaque fois que de l'imagerie, de l'illustration. Toute œuvre d'art ne vit que dans la dimension en quoi elle a été conçue et dans laquelle elle a trouvé son expression. Qu'est ce que l'on emprunte à un livre ? Des situations. Mais les situations n'ont, par elles-mêmes, nulle signification. Ce qui compte, c'est le sentiment avec lequel ces situations sont exprimées, l'imagination, l'atmosphère, la lumière, en définitive, leur interprétation. Or l'interprétation littéraire de ces faits n'a rien à voir avec l'interprétation cinématographique de ces mêmes faits. Il s'agit de deux façons de s'exprimer complètement différentes".
A contrario, la démarche d’Alain RESNAIS, si elle n’est pas sur l’adaptation littéraire, atteste de son amour pour le travail des écrivains prenant en charge un scénario: "Je cherche cette sonorité particulière du texte, exigeant de travailler avec quelqu'un qui a une forte personnalité, un phrasé particulier et qui s'intéresse au théâtre ou au cinéma." Avec DURAS, ROBBE-GRILLET, SEMPRUN, pour scénaristes il réalise avec chacun d’entre eux “Hiroshima mon amour”, “L’année dernière à Marienbad”, “La guerre est finie”...C’est qu’il ne fait “pas de différence entre une pièce et certains romans, ceux de Robbe-Grillet par exemple, ou certains tableaux, certaines musiques: “Le Déluge” d'Uccello, “Apollon Musagète” de Stravinsky. Pour moi, ce sont toujours des spectacles. Dans le spectacle, il y a l'idée du mouvement dramatique de l'action, de la démonstration même.
J'oppose spectacle à contemplation, à méditation. Tout spectacle comporte une progression dramatique: exposition, péripétie, dénouement. Bien sûr, on peut jouer sur la construction dramatique. À cet égard, le cinéma est encore très en retard sur le roman ou la musique. Il reste beaucoup à faire pour assouplir le récit, en le rendant à la fois plus subtil et plus naturel. L'ordre dans lequel les idées ou les images s'associent dans notre esprit est rarement chronologique. On pense à une chose, puis à une autre qui n'a aucun rapport immédiat avec la précédente, qui ne la suit pas logiquement, ni temporellement. Le vrai réalisme consiste à suivre cet ordre; cela peut conduire à placer la fin de l'histoire avant le début. On ne peut pas se passer d'ordre, de tension. Il serait intéressant d'examiner de ce point de vue un film comme “Deux ou trois choses que je sais d'elle”, de Godard, où la dislocation du récit est totale. On y découvrirait sans doute des lois nouvelles de progression. Il faut toujours que le spectacle soit porté par son propre mouvement. "